Crises, catastrophes et désescalade énergétique
Ce dossier de la Revue d’histoire de l’énergie se propose d’explorer la façon dont les crises et les catastrophes remodèlent notre rapport à l’énergie et comment celles-ci peuvent ou non faire entrer les sociétés sur la voie d’une désescalade énergétique. Par désescalade, on entend un cheminement, pris ici dans une dimension brutale et rapide, vers des systèmes énergétiques de faibles puissances et vers des modes de consommation et de productions énergétiques axés vers davantage de sobriété. Crises et catastrophes engendrent des bouleversements qui font que l’énergie n’est plus immédiatement disponible et que les flux énergétiques sont entravés. Les sociétés peuvent alors se tourner vers des solutions à basse technicité et vers des systèmes énergétiques alternatifs aux systèmes antérieurement dominants. Quelles solutions énergétiques s’avèrent alors possibles pour maintenir la vie quotidienne ? Quel devenir pour les réseaux énergétiques ? Quelles sont les contraintes et les nouveaux possibles qui s’ouvrent en faisant avec moins d’énergie ?
Le numéro se propose de réfléchir à des dynamiques de désescalade énergétique sous contraintes. La survenue d’une catastrophe naturelle (tempête, cyclone, séisme, inondation, etc.), l’arrivée d’une crise politique ou l’éclatement d’un conflit géopolitique peuvent venir contrarier l’approvisionnement énergétique des territoires touchés, par une rupture des réseaux, une désorganisation des systèmes sociaux, voire la production énergétique en elle-même, dans le cas d’un arrêt des centrales de production. Certains évènements économiques, comme les chocs pétroliers des années 1970, contraignent eux aussi les équilibres énergétiques à grande échelle. La crise environnementale contemporaine et les interrogations qu’elle produit sur ce qui serait une nécessaire transition énergétique dont les contours peinent à se dessiner questionnent la survie de systèmes énergétiques marqués par l’abondance et la disponibilité immédiate des ressources.
La notion de crise est donc comprise dans ses formes aiguës, celles de l’immédiateté par exemple liée à une tempête, mais aussi dans ses formes plus structurelles et de temps long, à l’image de la crise climatique contemporaine. La combinaison entre ces formes, lorsque la crise paraît ponctuelle alors qu’elle n’est qu’un symptôme d’une crise plus large, est aussi une ligne d’analyse pertinente pour l’approche proposée ici.
En interrogeant les crises dans ce qu’elles ont de multidimensionnel (politique, économique, sociale, environnementale), il s’agira d’analyser la nature et les conséquences des bouleversements énergétiques qu’elles engendrent. Les crises possèdent des temporalités plus ou moins longues (une catastrophe naturelle brutale et brève, un conflit politique qui s’enlise), contraignant alors les systèmes énergétiques à plus ou moins long terme. La crise peut également s’étendre, par des mécanismes d’interdépendance, à d’autres infrastructures (eau potable, réseaux internet, chaîne du froid...). Comment, dès lors, s’adapter à l’effondrement énergétique ?
Les crises dessinent des visages contrastés de la désescalade : la rupture des réseaux énergétiques est plus ou moins abrupte, l’ampleur des destructions plus ou moins importante, l’effondrement des systèmes énergétiques est plus ou moins marqué. Faire face à la crise implique de réfléchir aux besoins des populations et des groupes sociaux : comment articule-t-on les dynamiques de désescalade avec les besoins sociaux ? Les hiérarchies sociales font que les populations sont inégalement vulnérables face à la crise. Le recours à des solutions énergétiques d’urgence, comme la multiplication des générateurs individuels pour les groupes sociaux qui en ont les moyens dans les pays aujourd’hui en crise, ne projette pas les sociétés vers un futur sobre et décarboné. A contrario, la crise peut être parfois l’occasion de la formulation de discours politiques du renouveau, de la projection vers des modes de production énergétiques alternatifs, sans que ces discours ne se matérialisent nécessairement. Après la crise, des épisodes de chute démographique ou d’affaiblissement des mobilités peuvent faire évoluer durablement la production énergétique.
Après la survenue de la crise et la gestion immédiate des urgences, vient se poser la question de savoir comment s’ancre dans le temps long la dynamique de recomposition énergétique. S’agit-il ou non de dépasser une désescalade qui serait uniquement pensée comme réactive par rapport à la crise ? Un discours de planification énergétique émerge-t-il dans le temps du post-crise ? Comment s’amorce éventuellement une dynamique de désescalade choisie, avec des effets durables sur la demande énergétique ? Au contraire, après la crise, le désir des populations peut être celui, légitime, de revenir aux standards de consommation énergétique antérieurs, questionnant ainsi l’appropriation sociale de l’idée même de désescalade énergétique et l’ancrage de dynamiques de changements des besoins. Les crises font-elles émerger des nouveaux standards de confort énergétique ? Dans quelle mesure redéfinissent-elles la notion de précarité énergétique ?
Les réseaux énergétiques pourront également être questionnés. Comment les crises contraignent-elles les réseaux ? Comment gérer leur remise en fonctionnement progressive et avec quelles contraintes ? Sur quels acteurs repose la remise en état des réseaux et avec quelles difficultés ? La crise est-elle l’occasion de revenir sur la centralisation des réseaux et de promouvoir des formes décentralisées de réseaux ? Ou, au contraire, d’accentuer la centralisation ? Sera alors questionné le lien entre évolution de la demande énergétique en temps de crise et réflexion sur le dimensionnement des réseaux.
Les articles proposés pourront emprunter aux différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Le recours à la géographie, par exemple, pourra permettre de questionner les dynamiques territoriales de la désescalade énergétique face aux crises et catastrophes. D’autres approches, en sociologie, urbanisme ou science politique, par exemple, pourront également éclairer la thématique de ce dossier. Si l’approche historienne n’est pas la seule sollicitée par cet appel, la revue encourage l’ensemble des répondants à inscrire leur réflexion dans le temps, en interrogeant les continuités, changements et mutations à plus ou moins long terme. L’appel à communications est ouvert à tout contexte territorial, sans restriction au cadre français ou occidental.
Les articles pourront également questionner des enjeux plus méthodologiques, notamment sur l’accès aux sources statistiques en temps de crise. Comment réaliser des bilans énergétiques fiables ? Peut-on avoir une idée chiffrée du processus de désescalade, lorsque les sources statistiques nationales sont déficientes, lorsque des échanges informels et des mouvements de contrebande se structurent pour pallier la crise énergétique ? Quel accès aux sources et terrains a-t-on pour observer le plus directement possible la désescalade, dans un contexte social complexifié par la crise ?
Le sujet que porte ce dossier s’inspire de la conférence organisée en juillet 2023, regroupant plusieurs chercheurs et chercheuses provenant de différents champs disciplinaires et horizons pour questionner la désescalade énergétique. Un podcast résumant les différentes contributions de la journée est accessible en ligne (https://www.pca-stream.com/fr/player/desescalade-energetique-178?utm_source=STREAM+VOICES&utm_campaign=78156d3629-EMAIL_CAMPAIGN_2023_12_15_02_30&utm_medium=email&utm_term=0_-78156d3629-%5BLIST_EMAIL_ID%5D&mc_cid=78156d3629&mc_eid=a4e44061a6).
Coordination du numéro
- Annaig Oiry (UGE, ACP) : annaig.oiry@univ-eiffel.fr
- Arnaud Passalacqua (UPEC, Lab’Urba/LIED) : arnaud.passalacqua@m4x.org
- Roberta Pistoni (ENSPV, LAREP) : r.pistoni@ecole-paysage.fr
Calendrier prévisionnel
- envoi des résumés (1 page) pour le 1er mars 2024
- choix des articles pour le 15 mars 2024
- envoi des versions initiales des articles pour le 1er juin 2024
- publication au 1er décembre 2024