Du bidon à la pompe : la vente du pétrole en province et ses contestations (Côte-d’Or, 1877-1939)

Université de Bourgogne
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Twitter : @TimotheeDhotel

Résumé

Cet article éclaire l’arrivée du pétrole en France, et plus particulièrement en Côte-d’Or. Alors que les premiers fûts sont importés en 1861 sur les côtes normandes, la première trace d’un dépôt de pétrole dans ce département rural organisé autour de la ville de Dijon n’apparaît pas avant 1877. Leur nombre s’élève à près de 960 en 1939. Cette croissance tirée par les usages lampants et plus encore par la demande de carburant liée à l’essor de l’automobile témoigne d’une « pétrolisation » qui pour être incontestable n’en a pas moins été contestée. Les conflits autour des demandes d’installation documentent une histoire sociale et environnementale du pétrole, que l’on peut ainsi écrire du point de vue des acteurs locaux (riverains et vendeurs), en prise avec les compagnies pétrolières et l’État.

Article
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Introduction

« Il y a des villes de province où l’on casserait les vitres du marchand qui oserait afficher la vente du pétrole sans le déguiser sous le nom de luciline, de saxoléine, ou de quelque autre euphémisme [...] Pour les Américains qu’il enrichit, le pétrole est un présent du ciel ; pour les Français qu’il incendie, c’est un produit de l’enfer.1 »

En 1872, Albert Dupaigne, agrégé de physique, fait part des craintes des Français vis-à-vis du pétrole, huile d’éclairage encore méconnue et perçue par certains comme dangereuse. Les vendeurs de pétrole semblent alors cristalliser ces inquiétudes, et sont au cœur de vives tensions, particulièrement en province. En retraçant l’histoire de ces marchands, au tournant des XIXe et XXe siècles, une autre histoire du pétrole est possible : une histoire du point de vue des individus et au plus près des pratiques quotidiennes liées à cette nouvelle énergie.

Avant d’être le carburant de nos automobiles, le pétrole est d’abord un illuminant, appelé « huile de pétrole » ou pétrole lampant. C’est sous cette première forme qu’est vendue ce combustible, à partir des années 1860, par des épiciers et quincailliers. Plutôt bon marché, le pétrole lampant est essentiellement utilisé dans les campagnes et les pays non industrialisés dans le cadre privé, alors que le gaz d’éclairage s’emploie dans les villes des pays industriels pour l’éclairage public2. « L’essence de pétrole », beaucoup plus volatile et inflammable, est en revanche jugée trop dangereuse et est souvent jetée, avant de voir son utilité révolutionnée par le moteur à explosion. La vente du carburant est alors de plus en plus associée aux mécaniciens et réparateurs automobiles mais il faut attendre l’entre-deux-guerres pour trouver la trace des premières « stations de ravitaillement » puis « stations-service », qui tendent à professionnaliser la distribution d’essence. De nombreux autres dérivés issus du pétrole brut existent dès le XIXe siècle, comme la vaseline3. Néanmoins, les usages de ces produits sont secondaires ou ne requièrent que de petites quantités de pétrole ; notre étude porte donc essentiellement sur les pétroles lampant et carburant.

La vente du pétrole en France nécessite d’abord son importation. La production française de pétrole étant insuffisante, les compagnies françaises sont dans l’obligation de faire appel à des pays exportateurs4. Les fûts de pétrole brut arrivent par voie maritime ou ferroviaire et sont acheminés vers des raffineries françaises, situées principalement à proximité des côtes et en région parisienne5. Une fois le pétrole raffiné, il est ensuite distribué sur le territoire par chevaux, wagons, chalands puis camions citernes vers des entrepôts ou parcs de stockage, qui sont des dépôts intermédiaires, localisés généralement en périphérie des villes, et pouvant stocker jusqu’à 10 000 m3 d’hydrocarbures à la fin de notre période. Le pétrole est enfin délivré vers les dépôts destinés à la vente au détail, qui sont les plus nombreux, entreposent de faibles quantités de pétrole et sont situés à proximité des habitations.

L’établissement des dépôts de pétrole est toutefois inégal en France. Alors que les premiers fûts sont entreposés dès les années 1860 en région parisienne ou au Havre, il faut par exemple attendre 1877 pour trouver la trace d’un dépôt de pétrole en Côte-d’Or (fig. 1). Ce département bourguignon est relativement bien connecté avec le reste du territoire, et notamment la capitale, grâce à ses voies d’eau navigables et ses réseaux routier et ferroviaire6. La diffusion des fûts de pétrole a donc pu être plus rapide que vers d’autres régions plus isolées. En outre, une des particularités de la Côte-d’Or est le fossé immense qui sépare sa préfecture, Dijon, « ville bourgeoise et commerçante7 » qui s’industrialise grâce à sa position d’étoile ferroviaire et au dynamisme de quelques industries spécialisées8, et le reste du territoire, largement rural et agricole malgré quelques villes intermédiaires. Cet écart se mesure également au niveau démographique, puisque le département passe de 382 000 à 350 000 habitants entre 1881 et 19119, tandis que Dijon est en pleine croissance démographique et compte 60 000 habitants en 1886 contre près de 100 000 en 193910. La ville reste toutefois peu influente à l’échelle nationale, Dijon n’étant que la 25ème ville de France en termes d’habitants en 191111. Au XIXe siècle, Dijon concentre ainsi l’essentiel des flux pétroliers et des dépôts de pétrole de Côte-d’Or, et il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que la diffusion vers les campagnes se produise. La consommation d’essence y est toutefois limitée, bien qu’elle soit légèrement supérieure à la moyenne nationale, la Côte-d’Or n’étant pas un centre automobile. Même si chaque cas local est singulier, la Côte-d’Or offre un terrain intéressant puisqu’elle incarne un modèle départemental assez fréquent en France, c’est-à-dire une ville administrative qui polarise un territoire rural plutôt enclavé.

Le département de la Côte-d’Or. Source : Wikipédia.
Figure 1 : Le département de la Côte-d’Or. Source : Wikipédia.

Cette enquête sur ces premiers dépôts de pétrole en Côte-d’Or cherche alors à mettre en lumière un angle-mort de l’historiographie française classique. En effet, l’histoire du pétrole en France a longtemps été écrite à travers des prismes politique ou économique notamment par le biais des grandes compagnies ou des relations internationales. Quelques travaux – non-universitaires – ont toutefois mis en lumière la vente du pétrole en France au tournant des XIXe et XXe siècles, dans une approche technique12. Notre article s’inscrit davantage dans une historiographie sociale, environnementale et des sensibilités qui s’est intéressée aux établissements dangereux, incommodes et insalubres13, sans pour autant étudier réellement les dépôts de pétrole14. Quelques récentes études sur l’industrie pétrolière en France ont toutefois été publiées, mais elles concernent des territoires portuaires15, les territoires ruraux étant absents des recherches, à notre connaissance. Les études relatives aux dépôts de pétrole sont alors avant tout américaines, et bien que s’intéressant essentiellement aux pays producteurs de pétrole, la situation des pays consommateurs de pétrole est de plus en plus mise en lumière16. De manière plus générale, cette approche par en bas que nous souhaitons réaliser, du point de vue des vendeurs de pétrole, ces « sans voix de la geste énergétique17 », permet d’éclairer les prémices de la pétrolisation18 de notre société en s’interrogeant sur les pratiques quotidiennes liées au pétrole, ses représentations, et son acceptation par les populations, tendant à l’émergence d’une « civilisation19 » du pétrole.

Pour cela, nous nous sommes principalement appuyés sur les demandes d’installation de ces dépôts de pétrole, conservées aux archives départementales et municipales20. Nous avons recensé 45 demandes entre 1877 et 1918, et 960 autres durant l’entre-deux-guerres. En effet, il était obligatoire, pour pouvoir entreposer et vendre du pétrole, d’effectuer une demande auprès du préfet dans laquelle sont précisées les caractéristiques du dépôt, celui-ci étant considéré comme un établissement dangereux, incommode et insalubre21. Au XIXe siècle et jusqu’au début du XXe siècle, la majorité des dépôts sont soumis à une enquête de commodo et incommodo, où l’administration réalise une inspection des lieux tandis que les riverains ont la possibilité de protester contre l’établissement, mais seulement avant son autorisation22. Les lettres et pétitions des riverains23 qui garnissent ces premiers dossiers forment donc nos sources principales pour retracer les protestations à l’encontre du pétrole. La situation évolue durant l’entre-deux-guerres : la simplification des normes relatives aux dépôts de pétrole supprime le recours à l’enquête de commodo et incommodo pour la majorité des dépôts. Les dossiers sont donc très différents en fonction de la temporalité. Le dépôt de pétrole, infrastructure du « retail petroleumscape24 », apparaît donc comme un objet historique riche, éclairant les conditions de vente du pétrole et les relations entre vendeurs et consommateurs, cristallisant des conflits qui mobilisent aussi les autorités publiques. De plus, la presse locale nous renseigne sur les faits divers liés au pétrole, participant à la construction de représentations autour de cette source d’énergie25.

Quelles sont les motivations des protestations dont la vente de produits pétroliers est l’objet ? Dans quelle mesure cette vente est-elle malgré tout autorisée et acceptée ? Dans une première partie, nous dresserons les portraits des premiers vendeurs de pétrole lampant, dont l’activité est contestée à la fin du XIXe siècle en Côte-d’Or. Dans une deuxième partie, nous étudierons les bouleversements de la vente de pétrole entre 1896 et 1918, lorsque cette dernière se rattache peu à peu au secteur automobile. La période est aussi marquée par l’apogée des critiques à l’encontre de la vente de pétrole. Enfin, dans une troisième partie, nous évoquerons le nouvel ordre de grandeur qui prend place à la suite de la Première Guerre mondiale, puisque la diffusion de l’automobile a entraîné une explosion des dépôts d’essence, de nouvelles évolutions dans la vente, mais aussi l’apparition de nouvelles tensions.

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Vendre du pétrole lampant à la fin du XIXe siècle (1877-1896)

Épiciers, quincailliers et vendeurs ambulants

À la fin du XIXe siècle, la vente du pétrole lampant ne se fait non pas dans des commerces dédiés spécifiquement aux produits pétroliers, mais dans les épiceries, quincailleries, drogueries et même certaines pharmacies.

Bien que ces magasins vendant le pétrole au détail n’entreposent qu’une faible quantité de pétrole, certains dépôts plus importants sont visibles dans les archives car ils nécessitent une enquête de commodo et incommodo. C’est le cas du dépôt détenu par M. Housse-Petitjean, qui a transféré son huilerie en 1887 à Dijon et y adjoint un dépôt de pétrole lampant26. Ce négociant diversifie ainsi son activité, consacrée à l’origine aux huiles végétales, et cela à l’image de plusieurs sociétés pétrolières françaises27. La grande majorité de ces vendeurs de pétrole côte-d’oriens sont localisés à Dijon.

Les autres points de vente de pétrole en Côte-d’Or à cette époque ne sont presque pas perceptibles dans les sources administratives. Toutefois, grâce aux annonces diffusées dans les journaux locaux, nous pouvons retrouver quelques épiceries commercialisant du pétrole lampant. Par exemple, l’enseigne dijonnaise « Au Sucre Découpé » propose des services de livraison en ville et dans la campagne environnante28. En effet, il n’est pas rare que des vendeurs ambulants se déplacent dans des voitures ou charrettes tirées par des chevaux.

Ce sont donc ces vendeurs non spécialisés qui participent à la rencontre du pétrole et des habitants de Côte-d’Or. Cependant, comme nous avons pu l’évoquer, ces acteurs sont critiqués et associés à l’incendie. En effet, certains fabricants, pour accroître leur production, sont tentés d’ajouter de l’essence de pétrole aux huiles plus lourdes, augmentant l’inflammabilité. Le raffineur cherche ainsi à accroître ses profits au détriment de la sécurité. Toutefois, cet ajout permet de rendre l’huile plus fluide et favorise sa montée dans la mèche de la lampe à pétrole, diffusant ainsi davantage de lumière29. De plus, ces mélanges explosifs peuvent aussi provenir d’erreurs de distillation, qui sont certainement assez courantes dans les années 1860-1870, avant de se raréfier par la suite. Concernant notre étude, nous ne trouvons pas de contestations dénonçant ce type d’incident, essentiellement parce que nous n’avons pas de sources antérieures à 1877, et que les demandes d’installation de dépôt de pétrole ne concernent pas les marchands ambulants.

Des premiers dépôts fragiles et dangereux

Alors que la consommation du pétrole lampant est en nette hausse jusqu’aux dernières années du XIXe siècle30 et que les dépôts de pétrole se multiplient à Dijon, ces établissements, et donc de manière indirecte les détaillants, attisent la crainte des riverains. L’exemple du magasin de M. Focillon dans un quartier résidentiel à Dijon est particulièrement révélateur car il cristallise des contestations très variées. Soumis à une enquête de commodo et incommodo en 1882, ce dépôt destiné à la vente au détail de pétrole est décrit comme étant « une cabane en planches couverte de tuiles, qui peut contenir plus de quatre fûts de 150 litres chacun31 ». Comme beaucoup d’autres dépôts de cette période, il est petit et fragilement bâti. La demande d’installation émise par M. Focillon reçoit ainsi de nombreuses protestations de la part des riverains qui soulignent la fragilité de la structure.

Les peurs de l’incendie et de l’explosion sont en outre omniprésentes parmi les oppositions relevées. Par exemple, un propriétaire affirme que ce dépôt serait un « foyer d’incendie et d’autres causes de perturbation32 ». Ces risques sont par ailleurs décuplés par la cohabitation des dépôts de pétrole avec d’autres établissements dangereux. Les fûts de pétrole de M. Focillon se trouvent ainsi à proximité immédiate de la forge d’un atelier de serrurerie souvent allumée.

De plus, la présence d’un dépôt de pétrole dans son voisinage cause des préjudices économiques et fonciers. Une plainte visant le magasin de M. Focillon met notamment en lumière la hausse du prix des assurances des appartements et la baisse de leur valeur, à cause de la présence de ces fûts inflammables. En revanche, les dépôts situés en périphérie de Dijon n’attirent pas autant d’inquiétudes puisqu’ils sont plus distants des habitations. La volonté de déplacer le dépôt de pétrole hors de la ville est ainsi une requête qui revient régulièrement dans les plaintes des riverains.

Enfin, la dernière caractéristique majeure des premiers points de vente de pétrole relève de leur régulière clandestinité. L’exploitation de M. Focillon a notamment débuté avant son approbation légale, et elle est pour cela pointée du doigt par le propriétaire de la maison située en face du dépôt : « un malheur peut arriver surtout si l’on songe aux dispositions déplorables et par trop sans gêne prises par les intéressés même avant toute autorisation administrative33 ». Le fonctionnement illégal des établissements classés est en effet courant dans la seconde moitié du XIXe siècle en France34. Les raisons de cette non-déclaration sont diverses : même si la grande partie des détaillants plaident l’ignorance, certains exploitent leur établissement illégalement par crainte d’un refus ou pour éviter les prélèvements fiscaux. Il est également plus difficile pour l’administration de prescrire la fermeture du dépôt si celui-ci fonctionne déjà35.

Malgré la soixantaine de plaintes portées à l’encontre du dépôt de M. Focillon, son exploitation est autorisée par le préfet jugeant que « ces oppositions sont empreintes d’exagération et reposent sur une interprétation erronée du décret36 ». Ce résultat est finalement représentatif puisqu’en Côte-d’Or, entre 1877 et 1896, sur les 14 demandes d’installation recensées, aucune n’a été refusée alors que la moitié ont produit des protestations. Certaines sont toutefois soumises à des prescriptions supplémentaires par le préfet, pour garantir davantage de sécurité. Un dépôt projeté à Châtillon-sur-Seine, petite ville au nord du département, doit par exemple remplacer des portes initialement prévues en sapin par des portes en fer et doit installer des tuyaux de dégagement pour entraîner les vapeurs de pétrole au-dessus de la toiture et pour évacuer les mauvaises odeurs plus facilement37.

Alors que les vendeurs de pétrole participent à la diffusion du combustible comme source d’éclairage bon marché, certains véhiculent une image irresponsable voire dangereuse, créant des représentations négatives autour du pétrole. En effet, outre les dangers relatifs à la manipulation du pétrole lampant, les premiers dépôts attisent les craintes des riverains. Dans les faits pourtant, les accidents semblent plutôt rares, d’où peut-être la bienveillance des autorités, d’autant que les dépôts restent relativement peu nombreux dans les quartiers résidentiels. La pétrolisation n’est donc que peu ralentie. Mais les oppositions à l’encontre des dépôts de pétrole, ces « étranges voisins38 », et donc les conflits qui en résultent entre détaillants et riverains, sont à leur apogée au tournant du siècle, lorsque le pétrole obtient une nouvelle fonction : celle de faire avancer les automobiles.

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Un nouveau carburant à vendre (1896-1918)

Se convertir au carburant

C’est en 1896 que la Côte-d’Or rencontre l’automobile39, à l’issue de la course Paris-Marseille-Paris, organisée par l’Automobile Club de France (ACF), qui traverse le département et met en avant la fiabilité des véhicules à essence. Malgré des mouvements autophobes40, particulièrement virulents dans les campagnes françaises, l’automobile à essence tend à être acceptée, notamment grâce à l’essor des véhicules utilitaires dès le début du XXe siècle. La mobilité des médecins, vétérinaires ou boulangers est alors facilitée par ce nouveau véhicule, et permet le désenclavement de certains espaces ruraux41. Le pétrole tend à devenir une ressource essentielle et sa dépendance est criante lors des pénuries de la Première Guerre mondiale, où les difficultés d’approvisionnement en essence de ces services préoccupent les autorités locales42.

L’essor de l’automobile et le développement de l’électricité bouleversent en outre la vente du pétrole lampant. Bien que l’éclairage au pétrole soit toujours courant au début du XXe siècle, les ventes d’essence dépassent rapidement celles du lampant, si bien que l’intérêt économique du second diminue pour les compagnies. Malgré cela, les méthodes de distribution du pétrole ne sont pas bouleversées. Dans un premier temps, ce sont les mêmes enseignes proposant du pétrole lampant qui vendent le carburant. Les épiciers étant déjà clients auprès des sociétés pétrolières, la transition n’a pas été difficile à effectuer. De plus, la vente par bidons de cinq litres, plombés par l’État et réceptionnés dans des caisses en bois peintes aux couleurs et noms des premières marques d’essence, utilisées depuis la fin du XIXe siècle par les vendeurs de lampant, sont toujours le principal mode de distribution43. Ces caisses trônent souvent en devanture des boutiques ou sur le trottoir pour attirer les automobilistes (fig. 2 et 3). Néanmoins, les détaillants doivent entreposer davantage de bidons et fûts dans leurs magasins étant donné que l’automobile est davantage consommatrice de pétrole que la lampe.

Figure 2 : Devant une épicerie, des caisses de la marque Moto Naphta, affiliée à la société Deutsch de la Meurthe. Date et localisation inconnues. Aucun document iconographique de ce type n’a été trouvé pour cette période en Côte-d’Or. Source : Christian Rouxel, « Bref historique de la vente d’essence en France », Route nostalgie, n° 5, 2004.
Figure 2 : Devant une épicerie, des caisses de la marque Moto Naphta, affiliée à la société Deutsch de la Meurthe. Date et localisation inconnues. Aucun document iconographique de ce type n’a été trouvé pour cette période en Côte-d’Or. Source : Christian Rouxel, « Bref historique de la vente d’essence en France », Route nostalgie, n° 5, 2004.
Figure 3 : Caisse de la marque Benzo, de la société Fenaille & Despeaux. Source : Timothée Dhotel, photographie prise le 28/10/2020 au musée de la Pompe à essence de Dracy-le- Fort (71)
Figure 3 : Caisse de la marque Benzo, de la société Fenaille & Despeaux. Source : Timothée Dhotel, photographie prise le 28/10/2020 au musée de la Pompe à essence de Dracy-le- Fort (71)

Une nouvelle catégorie de vendeurs apparaît toutefois à cette époque : les vendeurs de cycles. L’automobile se présente comme l’héritière de la bicyclette, très en vogue depuis les années 1880. Les réparateurs d’automobiles sont ainsi pour la plupart d’abord spécialisés dans les deux roues avant de se convertir dans les quatre roues. En quelques années, des dizaines de mécaniciens, constructeurs et réparateurs d’automobiles apparaissent en Côte-d’Or, et la plupart se chargent aussi de vendre de l’essence. Par exemple, à Dijon en 1901, sur les huit constructeurs et réparateurs recensés, cinq proposent la vente de bidons d’essence44. Les guides touristiques comme le Guide Michelin mentionnent également ces ateliers de réparations et points de vente d’essence, participant à leur essor45.

Figure 4 : Vendeurs d’essence et réparateurs d’automobiles en 1901 en Côte-d’Or
Figure 4 : Vendeurs d’essence et réparateurs d’automobiles en 1901 en Côte-d’Or​​​​

Par ailleurs, cet Annuaire nous a permis de cartographier les dépôts d’essences de Côte-d’Or en 1901, ainsi que tous les professionnels de l’automobile. D’après le croquis (fig. 4), 20 communes proposent la vente de bidons d’essence en 1901, et parmi elles, Dijon joue logiquement le rôle de centre automobile du département. De plus, la tendance montre qu’une diffusion vers les campagnes s’opère, mais essentiellement vers les villes secondaires.

La vente de pétrole sous le feu des critiques

Pour autant, les dépôts de pétrole, qui se développent dans plusieurs villes de Côte-d’Or et sont de plus en plus imposants, sont l’objet de nouvelles inquiétudes par les riverains, telle que la contamination des eaux par le pétrole46. En outre, les nuisances olfactives du liquide inflammable prennent une ampleur considérable dans les plaintes par rapport à la période précédente, les vapeurs de pétrole n’étant plus décrites comme une gêne incommode et désagréable, mais comme un véritable risque pour la santé. Par exemple, en 1899, une affaire concerne le dépôt de pétrole de première classe projeté à Dijon par M. Vreuille, agent général de la société pétrolière française Lille et Bonnières, l’une des plus importante à cette époque. Une pétition approuvée par 155 signatures clame notamment que ce dépôt viendrait « empoisonner le quartier par la mauvaise odeur47 », montrant la coalition des voisins face au vendeur de pétrole. Les riverains mobilisés, s’adressant au maire de la ville par l’intermédiaire de l’enquête de commodo et incommodo, en appellent à sa compassion : « Nous aurions beaucoup à craindre pour la santé de nos enfants et pour nous-mêmes.48 »

De plus, la particularité et la richesse du dossier relatif au dépôt de M. Vreuille est qu’il contient la réponse du vendeur aux multiples plaintes qu’il a subies. L’enquête de commodo et incommodo permet alors de mettre en lumière la confrontation indirecte entre les riverains contestataires et l’exploitant. Ce dernier cherche notamment à déconstruire les craintes pour obtenir l’autorisation préfectorale, et se place en véritable défenseur de la pétrolisation. Concernant le danger provoqué par les vapeurs de pétrole, sa réponse est très claire : « Tout le monde sachant que les vapeurs de pétrole (si vapeurs de pétrole il y a) sont plutôt un agent antiseptique et de purification, qui au lieu de créer un danger, détruirait tous les autres germes morbides qui existeraient dans le quartier.49 » M. Vreuille prétend donc que les vapeurs de pétrole possèdent des effets hygiéniques, ce qui est loin d’être une opinion isolée à cette époque50.

M. Vreuille oppose en outre la connaissance législative des industriels voisins, qui n’ont pas soulevé de protestations, à l’ignorance des autres riverains : « On a fait croire à ces bonnes gens pour les faire signer que le pétrole était mis à même dans des puits creusés en terre.51 » Il juge que les normes légales et l’outillage technique en sa possession sont suffisants pour prévenir les dangers. Cependant, cette ignorance doit être relativisée, puisque même si l’origine du pétrole demeure floue à cette époque, de nombreuses revues scientifiques ainsi que des manuels sur les établissements insalubres permettent à la population de s’informer52. L’image dangereuse et inquiétante des dépôts de pétrole est par ailleurs véhiculée par la presse depuis le début de notre période, qui recense plusieurs accidents, français et internationaux, aux graves conséquences53.

Bien que les pétitions à l’encontre d’un dépôt de pétrole puissent atteindre plusieurs centaines de signatures, leur efficacité semble limitée54. Le dépôt de M. Vreuille est en effet autorisé en 1899. Ce sont davantage les autorités publiques qui ont le pouvoir de freiner la pétrolisation, en pliant les vendeurs de pétrole à la législation, en les contraignant à réduire drastiquement le volume de pétrole entreposé, voire en émettant un avis défavorable à l’encontre d’un dépôt. C’est en effet au tournant du siècle que les exploitants de pétrole souhaitant installer un dépôt obtiennent le plus de refus en Côte-d’Or. Entre 1896 et 1914, plus de 10% des demandes sont refusées55. Outre le rôle du préfet, le maire de Dijon semble avoir un poids important dans la décision finale relative à l’installation d’un dépôt de pétrole56. Il émet à trois reprises des avis défavorables aux projets pétroliers dijonnais, pour des motifs de sécurité, et par trois fois le dépôt est refusé par le préfet, qui rédige le décret final. Et cela même lorsque les protestations des riverains ne sont pas nombreuses57.

D’autres contestations à l’encontre de la vente du pétrole se remarquent également au début du XXe siècle. En effet, les autorités locales comme les épiciers se mobilisent contre la vente de pétrole sur la voie publique, mais pour des raisons différentes. Par exemple, en 1906 à Beaune, ville du sud du département, la Chambre de Commerce de la ville se saisit d’une pétition signée par les épiciers de la ville contre la compagnie américaine Splendid Light, dont l’intermédiaire local se présente sous le nom La Lumière. Celui-ci vend du pétrole lampant au détail dans les rues « au moyen de roulottes réservoirs58 ». Les épiciers se mobilisent et s’indignent de la concurrence déloyale qu’exerce ce commerce ambulant qui ne se plie pas aux obligations légales, et notamment le paiement des impôts locaux. En effet, la pétition ne vise pas seulement Splendid Light mais la vente du pétrole sur la voie publique en général. Pour les autorités publiques, la vente ambulante est perçue avant tout comme « un dangereux trafic59 », et elle semble avant tout être combattue dans un but de contrôle et de sécurité, et non pas pour défendre les épiciers locaux. Ainsi, une pétition menée la même année par des syndicats de l’épicerie et des épiciers-regrattiers de Dijon vise un dépôt de pétrole dijonnais – il s’agit donc d’un dépôt fixe – appartenant à cette même société La Lumière. Cette concurrence, dénoncée une nouvelle fois par les épiciers, est à relier à la loi sur le raffinage de 1903, qui a fragilisé les petites sociétés pétrolières françaises, et par conséquent leurs intermédiaires locaux, permettant au contraire l’expansion des trusts anglo-saxons en France60. Toutefois, l’administration locale autorise le dépôt, car il est jugé sécurisé et « profitable à la population61 ». En effet, les consommateurs de pétrole sont favorables à l’arrivée sur le marché de sociétés anglo-saxonnes, qui proposent des prix avantageux. Par exemple, une contre-pétition a été formulée à Beaune pour soutenir un dépôt de La Lumière face aux épiciers62. Le processus de pétrolisation est donc ici tiraillé entre deux logiques. D’un côté, les épiciers, vendeurs traditionnels du pétrole lampant, menacés par la concurrence anglo-saxonne, et cherchant à garder la maîtrise locale de la vente du pétrole. De l’autre, les consommateurs, favorables au pétrole bon marché, et soutenus par les autorités publiques dans la mesure où la vente est sécurisée. C’est finalement par le biais de cette sécurité, renforcée par l’essor de la pompe à essence et du réservoir souterrain, que la pétrolisation de la Côte-d’Or change d’échelle durant l’entre-deux-guerres, laissant apparaître une politique publique en faveur des dépôts de pétrole.

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Des pompes à essence par centaines (1918-1939)

Les dépôts d’essence plébiscités

La Première Guerre mondiale marque un tournant dans la vente de pétrole en France. Le carburant, réquisitionné mais largement insuffisant en France, voit son intérêt stratégique décuplé à mesure que le conflit s’enlise. À la suite de la guerre, la gestion de cette énergie doit être repensée, et la distribution de pétrole à l’échelle locale doit radicalement changer. Henry Béranger, commissaire général aux Essences et Combustibles, est très clair vis-à-vis de la nouvelle stratégie à adopter :

« Réduire la question du pétrole à une question d’épicerie privée, non, vraiment, ce n’est plus possible après la période de 1914-1918. La révolution mondiale, qui est née de la guerre, exige d’autres aménagements après la victoire.63 »

Ces aménagements, qui s’érigent sur tout le territoire français, et essentiellement à partir de 1922 pour la Côte-d’Or, sont décrits par le ministre des Travaux Publics dans une circulaire à l’inspecteur en chef du département de Côte-d’Or. Les autorités locales sont alors invitées à « faciliter, autant que possible, toutes les installations nouvelles de nature à supprimer la manutention et le bidonnage des pétroles et essences », en particulier les « stations souterraines avec pompage de l’essence » qui présentent « le moins de danger et d’inconvénients pour la circulation.64 » La pompe à essence et le réservoir souterrain, procédés techniques d’origine américaine, doivent en effet sécuriser les dépôts de pétrole et permettre leur diffusion. Trois types de pompe sont à distinguer : les appareils mobiles, montés sur un chariot roulant où le carburant est stocké dans un fût ; les pompes murales, qui n’empiètent pas sur la voie publique ; et les pompes fixes, reliées à un réservoir souterrain65.

Ces nouvelles techniques sont notamment introduites auprès de la population civile côte-d’orienne dès le printemps 1920 par l’intermédiaire du matériel militaire américain non rapatrié mais vendu sur place66. Ensuite, à l’échelle du département, les compagnies anglo-saxonnes, telles que la Standard Oil, l’Anglo-Persian ou la Royal Dutch / Shell, favorisent la diffusion de ces nouvelles techniques dès 1922 jusque dans les petits villages côte-d’oriens67. Les pompes étant coûteuses, la majorité de celles utilisées par les détaillants appartiennent à ces grandes sociétés pétrolières68. Par exemple, la Standard Oil, opérant en France à travers ses filiales comme L’Économique ou La Compagnie Générale des Pétroles, fournit des pompes Gilbert & Barker aux vendeurs d’essence qui lui sont associés (fig. 5). Les mêmes pratiques se constatent pour d’autres sociétés françaises comme Desmarais Frères. Ce sont d’ailleurs ces compagnies qui se chargent généralement des procédures administratives nécessaires pour installer le dépôt d’essence, en réalisant par exemple le plan de l’établissement et en fournissant au détaillant une notice explicative du fonctionnement de la pompe, accroissant ainsi leur contrôle sur la distribution de l’essence. Outre une meilleure précision et une baisse du danger, ces pompes ont aussi l’avantage d’être très visibles pour les automobilistes, et sont donc profitables aux vendeurs. Elles participent alors à une uniformisation de l’image des compagnies pétrolières69, pétrolisant le paysage côte-d’orien. L’État cherche aussi à surveiller ces nouvelles techniques, et très vite il réglemente leur utilisation : seules les pompes poinçonnées sont autorisées à être en service70.

Figure 5 : Publicité pour la pompe T-808 de la marque Gilbert & Baker, jointe à la demande d’installation de M. Suchet. Source : ADCO SM 16895, 1922, dossier relatif au dépôt de M. Suchet à Nuits-Saint-Georges
Figure 5 : Publicité pour la pompe T-808 de la marque Gilbert & Baker, jointe à la demande d’installation de M. Suchet. Source : ADCO SM 16895, 1922, dossier relatif au dépôt de M. Suchet à Nuits-Saint-Georges

En Côte-d’Or, les autorités locales suivent les consignes ministérielles, et autorisent massivement les nouveaux projets pétroliers, surtout s’ils présentent ces réservoirs souterrains et pompes à essence. Hormis quelques refus et réserves exprimés entre 1919 et 1921, relatifs à des dépôts qui ne présentent pas ces dispositifs techniques, il devient très rare que le préfet de Côte-d’Or refuse l’installation d’un dépôt d’essence par la suite. Entre 1922 et 1939, nous n’avons recensé que quatre rejets pour 960 demandes. Ces chiffres sont aussi à relier au fait que les dépôts de pétrole sont désormais presque tous classés dans la troisième classe des établissements dangereux, insalubres ou incommodes, conséquence du décret du 24 décembre 1919 qui modifie la nomenclature, et contrairement à la période précédente, les enquêtes de commodo et incommodo ne sont plus engagées pour les dépôts de troisième classe71. Et même lorsque les contestations des riverains sont permises, pour les établissements de première ou deuxième classe, les autorités ont tendance à les réduire au silence, particulièrement en zone rurale, où la faiblesse des oppositions à certains projets est facilement esquivée. Le rôle des maires dans la décision finale semble, en outre, diminuer. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender la vente de pétrole en Côte-d’Or, dont l’enjeu est avant tout de répondre aux demandes des automobilistes.

Des vendeurs d’essence sur la route des automobilistes

Alors que les véhicules utilitaires continuent à se développer, l’essor du tourisme produit également des effets sur la vente de pétrole en Côte-d’Or durant l’entre-deux-guerres, le département étant au cœur de nombreuses routes touristiques reliant notamment Paris à Genève ou à la Méditerranée72. À mesure que le nombre d’automobiles croît73, la consommation de pétrole augmente fortement en France : les importations passent de 1,5 M/t en 1920 à 3,1 M/t en 1926 puis 4 M/t en 193074. Par conséquent, de nombreuses infrastructures, comme les dépôts d’essence, émergent pour répondre aux besoins des automobilistes. En l’espace de 20 ans, le département se couvre de stations de ravitaillement (fig. 6). Ces dépôts, bien que concentrés dans les villes, sont très présents dans le monde rural75.

Figure 6 : Dépôts d’essence et parcs de stockage en Côte-d’Or entre 1921 et 1939. Source : Timothée Dhotel
Figure 6 : Dépôts d’essence et parcs de stockage en Côte-d’Or entre 1921 et 1939. Source : Timothée Dhotel
Figure 7 : Carte postale représentant la devanture de l’hôtel des Cultivateurs à Nuits-Saint-Georges (années 1931-1934). A droite, une pompe à essence murale. Source : Musée de la Vie bourguignonne Perrin de Puycousin.
Figure 7 : Carte postale représentant la devanture de l’hôtel des Cultivateurs à Nuits-Saint-Georges (années 1931-1934). A droite, une pompe à essence murale. Source : Musée de la Vie bourguignonne Perrin de Puycousin.

Par ailleurs, d’autres types de vendeurs d’essence apparaissent durant l’entre-deux-guerres, diversifiant un peu plus cette activité. De nombreux cafetiers et aubergistes de petites communes rurales se dotent d’un ou deux réservoirs d’essence, ne dépassant que rarement les 5000 litres, afin de ravitailler les automobilistes faisant étape et d’obtenir un petit revenu complémentaire (fig. 7). En outre, le succursalisme se développe en Côte-d’Or durant l’entre-deux-guerres, avec des établissements comme les Économiques bisontins ou les Comptoirs de la Bourgogne qui multiplient les magasins dans tout le département, auxquels ils associent une pompe à essence. Par exemple, les Comptoirs de la Bourgogne disposent de dépôts d’essence dans huit communes côte-d’oriennes76. Ensuite, le nombre de garagistes augmente durant l’entre-deux-guerres. Nombreux sont les ateliers de réparation qui se dotent d’une ou plusieurs pompes à essence. Ces garages sont principalement localisés dans les zones où la concentration d’automobilistes est plus forte : à Dijon, ils sont par exemple regroupés à l’est et à proximité du centre-ville, quartiers accueillant une population bourgeoise77.

Figure 8 : Plan d’installation du dépôt d’essence projeté par M. Billy à Dijon. Source : AMD 5 I 3 n° 696.
Figure 8 : Plan d’installation du dépôt d’essence projeté par M. Billy à Dijon. Source : AMD 5 I 3 n° 696.

Néanmoins, la spécialisation de la vente d’essence se met en place timidement. Alors que les termes de « station d’essence » et « station de remplissage » apparaissent au début des années 1920, le terme de station-service est beaucoup plus tardif. La Revue Pétrolifère publie à ce sujet en 1925 mettant en avant le retard français dans la vente au détail de l’essence par rapport aux Anglo-Saxons78. Les rythmes de la pétrolisation sont alors très variables en fonction des territoires, la revue soulignant que des stations à l’architecture extravagante, inspirées des établissements américains, émergent dans le sud de la France79. En Côte-d’Or, certaines stations semblent s’en rapprocher durant les années 1930. C’est le cas de la « Modern Station » établie en banlieue dijonnaise à partir de 1935, qui dispose d’un auvent sous lequel se trouve une piste cimentée garnie de quatre pompes80. Cette configuration, qui nous est commune aujourd’hui, est à l’époque novatrice et rare en Côte-d’Or. Ce n’est finalement qu’en 1932 que nous avons rencontré pour la première fois le terme de « station-service », lors d’une annonce publicitaire postée dans la presse locale81, avant que d’autres stations-service n’apparaissent, mais uniquement à Dijon.

A contrario, la vente traditionnelle persiste. Les épiciers et quincailliers représentent toujours une part importante de la distribution. Même si, peu à peu, les pompes à essence remplacent les caisses de bidons d’essence devant leur magasin, les méthodes de distribution traditionnelles sont toujours courantes. En 1928, la vente d’essence par bidons concerne encore 40% des détaillants en France82. À Dijon par exemple, l’épicier M. Billy entrepose son pétrole dans une armoire en fer (fig. 8).

Concurrence et précarité

Cette prolifération des postes d’essence durant l’entre-deux-guerres résulte aussi de la concurrence acharnée que se livrent les compagnies pétrolières à l’échelle locale. Sociétés françaises et filiales anglo-saxonnes cherchent à occuper la rue, le village et à attirer le plus grand nombre d’automobilistes. Elles se démarquent alors par leur nom, la couleur de leur pompe ou encore le prix de vente de l’essence. Cette compétition entraîne des situations assez ubuesques. Prenons le cas de la rue du Drapeau à Dijon. Cinq dépôts d’essence apparaissent dans cette seule rue entre 1924 et 1926, disposant tous d’une pompe à essence alimentée par des réservoirs souterrains d’une capacité variant entre 1200 et 4000 litres. Entre 1929 et 1931, ce sont ensuite cinq autres points de vente qui sont installés. Même si les sources ne renseignent pas tous les fournisseurs de ces détaillants, au moins trois compagnies pétrolières se disputent cette rue : Desmarais Frères83, la Société Générale des Huiles de Pétrole, relais de l’Anglo-Persian84 et La Pétroléenne, rattachée à la Standard Oil85. Cet exemple, loin d’être isolé à Dijon, nous montre un amoncellement des dépôts d’essence dans certains quartiers, qui se confirme aussi dans certaines communes rurales.

Cependant, ce suréquipement provoque la précarité de certains vendeurs d’essence. Avec 40 000 à 50 000 points de vente en 1928 en France, il y a un poste d’essence pour 20 automobiles86. De ce fait, très peu de détaillants vivent de la seule distribution d’essence, ce qui participe à la très lente spécialisation de l’activité et attise des tensions entre les vendeurs concurrents. Outre la crise économique du début des années 1930, les vendeurs les plus modestes sont fragilisés par le contexte politico-économique lié au pétrole. En effet, l’État français ne veut pas répéter l’erreur de la Première Guerre mondiale au cours de laquelle il fut dépendant des États-Unis. C’est dans ces conditions qu’est par exemple créée la Compagnie Française des Pétroles en 1924, dont un des objectifs est de contrôler davantage la distribution du pétrole face aux trusts anglo-saxons87. Néanmoins, l’efficacité de cette politique est limitée. Les trusts tendent en effet à accaparer brutalement le marché français, en baissant les prix de vente du pétrole ou en octroyant des ristournes à leurs intermédiaires locaux, fragilisant de ce fait les vendeurs de pétrole qui ne leur sont pas associés88.

Ce contexte provoque de grandes disparités sur les prix de vente entre les enseignes, mais aussi entre les territoires. En effet, « cette concurrence sévit naturellement avec plus d’âpreté sur les points de grosse consommation », mais  »beaucoup moins dans les petits centres, les districts ruraux89 ». Le prix de vente de l’essence en Côte-d’Or est en effet largement supérieur à la moyenne nationale car la « guerre des prix » y est moins intense – bien que la concurrence puisse être rude dans certaines villes. Ainsi, le bidon d’essence serait vendu 7,50 francs à Paris contre 11 francs en Côte-d’Or en 193190. Les automobilistes côte-d’oriens, défavorisés par ce contexte politico-économique, se mobilisent alors face à ce qu’ils voient comme une injustice. Une tribune publiée par un automobiliste dijonnais dans Le Progrès de la Côte-d’Or en 1932 accuse explicitement le consortium des compagnies anglo-saxonnes de manipuler les prix. Deux problèmes sont mis en avant : les « gros importateurs » américains absorbent « les petits » et étendent leur monopole, tandis que les automobilistes de province sont les victimes indirectes de cette « guerre des prix », qui favorise au contraire Paris91. Cette voix est loin d’être isolée : le maire de Dijon lui-même se plaint à ce sujet auprès du ministre du Commerce en 193192. Bien que tardives, quelques réponses étatiques émergent : un décret-loi est par exemple mis en place en août 193593, obligeant les préfets à surveiller les prix de vente des carburants dans leur département et fixant des prix-limites94.

Face à de nombreuses dérives dans la vente de l’essence, l’État cherche donc à contrôler une pétrolisation qui est pourtant dictée dans les faits par les compagnies anglo-saxonnes. Alors que les tensions avec les riverains sont refoulées et se réduisent, ce sont les automobilistes qui adressent les plus vives critiques au système de vente du pétrole, tout particulièrement en province.

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Conclusion

Cet article n’est finalement qu’un aperçu de la vente d’essence en province, au tournant des XIXe et XXe siècles95. De plus, malgré la pertinence du contexte côte-d’orien, une étude comparative avec des régions provinciales davantage rurales ou au contraire plus urbanisées permettrait une analyse plus complète des premières ventes de pétrole. Il ne faut également pas perdre de vue le contexte global, le retail petroleumscape n’étant qu’un élément du global petroleumscape96. Par ailleurs, cette étude pourrait être enrichie par l’analyse de sources des sociétés pétrolières, qui nous permettraient d’affiner les relations entre les détaillants et les importateurs97. Une étude sur les affiches publicitaires prolongerait également la question des représentations liées au pétrole98.

Par l’étude de la vente de pétrole en province entre 1877 et 1939, nous avons finalement cherché à éclairer un point d’ombre de l’historiographie, qui ne s’est pas suffisamment intéressée à ce type de territoire et à cette période. Nous avons aussi montré que la pétrolisation fut un processus contesté et irrégulier, soutenu ou dénoncé par les acteurs locaux en fonction de leurs intérêts. Les riverains des dépôts sont les premiers à combattre le pétrole, craignant pour leur confort et leur santé. De plus, les percées des trusts en Côte-d’Or, tant au début du XXe siècle que durant l’entre-deux-guerres, accélèrent et fragilisent paradoxalement la pétrolisation : les apports techniques et la baisse des prix de vente du pétrole sont relativisés par les contestations des vendeurs concurrencés et des automobilistes de province désavantagés. De leur côté, les pouvoirs publics semblent impuissants face à cette pétrolisation qui est, dans les faits, entre les mains des trusts. D’abord ambivalentes, les autorités en viennent aussi à défendre la pétrolisation, alors que l’essence est « répandue maintenant à l’égal des denrées alimentaires de première nécessité99 ».

En 1939 ce sont donc 90 000 pompes à essence et 1050 entrepôts de plus de 20 000 litres qui alimentent les 2,3 millions d’automobiles et 500 000 motos en France100. La Seconde Guerre mondiale marque toutefois une rupture brutale. Les dépôts d’essence sont détruits, les véhicules et le carburant sont réquisitionnés par l’occupant, les pompes à essence disparaissent des paysages et la pénurie s’installe dans toute la France. Les vendeurs de pétrole arrêtent leur activité pour l’immense majorité101. Néanmoins, la guerre nourrit une nouvelle fois le processus de pétrolisation et l’après-1945 ouvre les conditions d’un autre changement d’échelle.

  • 1. Albert Dupaigne, Le pétrole. Son histoire, sa nature, ses usages et ses dangers (Paris : Victor Palmé, 1872), 6.
  • 2. Alain Beltran et Pascal Griset, Histoire des techniques aux XIXe et XXe siècles (Paris : Colin, 1990), 230.
  • 3. Mathieu Auzanneau, Or noir. La grande histoire du pétrole (Paris : La Découverte, 2015), 21.
  • 4. À cette époque ce sont essentiellement les États-Unis et la Russie, tandis que de nouveaux gisements sont découverts au début du XXe siècle en Roumanie et en Amérique latine.
  • 5. Serge Jamais, « Implantation des raffineries pétrolières », (Ph.D. diss., Université de Bourgogne, 1967), 38.
  • 6. François Galliot, « Les voies de communication de la Côte-d’Or », in Dijon et la Côte-d’Or en 1911 (Dijon : 40e Congrès de l’Association pour l’avancement des sciences, 1911).
  • 7. Pierre Gras (dir.), Histoire de Dijon (Toulouse : Privat, 1981), 301.
  • 8. En 1891, l’industrie dijonnaise fournit 10 000 emplois. Voir Robert Chapuis, « Dijon, ville industrielle ? », in Jean-Michel Cadet et al, « Dijon et son agglomération », Notes et Études documentaires, n° 4862, 1988, 69-81.
  • 9. Jules Guicherd, « Notes de démographie départementale : population ; natalité ; nuptialité ; mortalité », in Dijon et la Côte-d’Or en 1911, 279-288 (cf. note 6).
  • 10. Jean-Bernard Charrier, « Dijon au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe », in Cadet et al, « Dijon et son agglomération », 18-21 (cf. note 8).
  • 11. Michel Huber, « Le recensement de la population française en 1911 », Journal de la société statistique de Paris, tome 53, 1912, 141-148.
  • 12. Christian Rouxel, « Bref historique de la vente d’essence en France », Route Nostalgie, n° 5, 2004 et Serge Miraucourt, « Histoire de la pompe à essence », Culture technique, n° 9, 1983.
  • 13. En excluant toute exhaustivité, nous pouvons citer Alain Corbin, Le miasme et la jonquille (Paris : Champs Flammarion, 2016 [1982]) ; Geneviève Massard-Guilbaud, Histoire de la pollution industrielle en France, 1789-1914 (Paris : EHESS, 2010) ; Michel Lette et Thomas Le Roux (dir.), Débordements industriels. Environnement, territoire et conflit (XVIIIe-XXIe siècle) (Rennes : PUR, 2013).
  • 14. Geneviève Massard-Guilbaud cite par exemple une affaire autour de l’explosion d’un dépôt de pétrole à Nantes en 1903 : Massard-Guilbaud, Histoire de la pollution industrielle en France, 154, (cf. note 13).
  • 15. Sur la situation de l’industrie pétrolière dans les ports normands et dans la vallée de la Seine : Morgan Le Dez, Pétrole en Seine (1861-1940). Du négoce transatlantique au cœur du raffinage français (Bruxelles : PIE Peter Lang, 2012). Sur l’héritage des infrastructures pétrolières à Dunkerque : Carola Hein, Christine Stroobandt et Stephan Hauser, « Petroleumscape as Heritage. The Case of the Dunkirk Port City Region », in Carola Hein (dir.), Oil Spaces: Exploring the Global Petroleumscape (New York : Routledge, 2021), 263-280.
  • 16. Carola Hein a par exemple développé le concept de « global petroleumscape », pouvant se traduire comme le paysage pétrolier global et interconnecté, dans ses dimensions spatiale, matérielle et culturelle. Le concept insiste aussi sur le rôle des acteurs du pétrole dans le façonnement de ce petroleumscape, à différentes échelles : Hein (dir.), Oil Spaces, 7-14 (cf. note 15).
  • 17. Gwenola Le Naour et Vincent Porhel, « Documenter les impacts sanitaires et environnementaux des activités pétrolières : un enjeu pour les sciences participatives », Natures Sciences Sociétés, vol. 29, n° 3, 2021, 342. Quelques travaux ont toutefois été entrepris sur ces vendeurs de pétrole, à une échelle plus large et pour une période postérieure : Elisabetta Bini, « Selling Gasoline with a Smile: Gas Station Attendants between the United States, Italy, and the Third World, 1945–1970 », International Labor and Working-Class History, n° 81, 2012, 69 93.
  • 18. À notre connaissance, le terme de pétrolisation est essentiellement employé en tant que processus donnant au pétrole une place croissante comme source d’énergie et comme matière première d’un nombre toujours plus grand d’objets. Quelques travaux ont mis en avant cette pétrolisation en France, mais en se focalisant sur des périodes plus tardives et/ou des activités pétrolières différentes. Voir Renaud Bécot, Gwenola Le Naour et Stéphane Frioux, « Inflammation du verbe moderniser : Feyzin 1966, une catastrophe dans le tournant pétrolier de l’économie française », in Stéphane Frioux (dir.), Une France en transition : urbanisation, risques environnementaux et horizon écologique dans le second XXe siècle (Paris : Champ Vallon, 2021), 125 153, ici 152 ; et sur la pétrochimie, voir Le Naour et Porhel, « Documenter les impacts sanitaires… » (cf. note 17).
  • 19. Charles-François Mathis, La Civilisation du charbon. En Angleterre, du règne de Victoria à la Seconde Guerre mondiale (Paris : Vendémiaire, 2021).
  • 20. Deux séries de dossiers ont constitué la majorité de nos sources : aux Archives départementales de Côte-d’Or (ADCO), les cotes SM 16887 à 16925 relatives aux dossiers des établissements dangereux, incommodes et insalubres ; aux Archives municipales de Dijon (AMD), les dossiers n° 595 à 841 de la série 5 I 3 correspondants aux dépôts de pétrole.
  • 21. Relatif au décret de 1810 qui classe les établissements nuisibles en trois catégories. Le décret des 19 et 24 mai 1873 vient préciser cette nomenclature pour les dépôts de pétrole, la règle étant que plus le volume stocké est important, plus l’établissement est considéré comme dangereux et donc soumis à des normes de sécurité et salubrité.
  • 22. Les études ont largement montré la visée industrialiste de tels décrets, mais ces enquêtes de commodo et incommodo nous révèlent les voix des riverains de ces établissements. Voir Corbin, Le miasme et la jonquille, 153 (cf. note 13).
  • 23. Les acteurs s’opposant à des établissements dangereux, incommodes ou insalubres, et parmi eux les riverains, ont fait l’objet de nombreux travaux, qui mettent en avant leur origine sociale ou leurs répertoires d’action : François Jarrige et Thomas Le Roux, La contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel (Paris : Seuil, 2017), 159-166.
  • 24. Hein, Oil Spaces, 10 (cf. note 15).
  • 25. Nous avons consulté de manière complète Le Progrès de la Côte-d’Or, auquel doivent être ajoutés quelques articles du Bien Public, du Rappel des Travailleurs et de la revue spécialisée La revue pétrolifère.
  • 26. AMD 5 I 3 n° 602, 1887, dossier relatif au dépôt de M. Housse-Petitjean.
  • 27. Rouxel, « Bref historique... » (cf. note 12).
  • 28. Le Rappel des travailleurs, 4 octobre 1896.
  • 29. Duapigne, Le pétrole, 53 (cf. note 1).
  • 30. La consommation moyenne de pétrole lampant par habitant était de 1,6 kg en 1878 contre 4,8 kg en 1889, et l’augmentation persiste jusqu’en 1894 au moins : Louis Galine, Traité général d’éclairage. Huile, pétrole, gaz, électricité (Paris : Editions Bernard et Cie, 1894), 394.
  • 31. AMD, 5 I 3 n° 596, 1883, dossier relatif au dépôt de M. Focillon.
  • 32. Id.
  • 33. Id.
  • 34. Massard-Guilbaud, Histoire de la pollution industrielle en France, 118-119 (cf. note 13).
  • 35. Estelle Baret-Bourgoin, « Modifications du paysage industriel et esprit industrialiste : les autorités municipales face aux pollutions industrielles à Grenoble au XIXe siècle », in Christoph Bernhardt et Geneviève Massard-Guilbaud (dir.), Le Démon moderne. La pollution dans les sociétés urbaines et industrielles en Europe (Clermont­-Ferrand : Presses universitaires Blaise-Pascal, 2002), 307.
  • 36. AMD, 5 I 3 n° 596 (cf. note 31).
  • 37. ADCO, SM 16888, 1888, arrêté préfectoral concernant le dépôt de la Société Deutsch et Cie.
  • 38. Judith Rainhorn et Didier Terrier, Étranges voisins. Altérité et relations de proximité dans la ville depuis le XVIIIe siècle (Rennes : PUR, 2010).
  • 39. Sur l’histoire sociale et culturelle de l’automobile : Clay McShane, Down the Asphalt Path. The Automobile and the American City (New York : Columbia University Press, 1995) ; Mathieu Flonneau, Les cultures du volant : essai sur les mondes de l’automobilisme : XXe-XXIe siècles (Paris : Autrement, 2008) ; Gijs Mom, Atlantic Automobilism. Emergence and persistence of the car, 1895 – 1940 (New York/Oxford : Berghahn Books, 2015).
  • 40. Voir notamment Patrick Fridenson, « La société française face aux accidents de la route (1890-1914) », Ethnologie française, t. 21, n°3, juillet-septembre 1991, 306-313.
  • 41. Pour plus de détails, voir par exemple Etienne Faugier, « L’économie de la vitesse : l’automobilisme et ses enjeux dans le département du Rhône et la région du Québec (1919-1961) » (Ph.D. diss., Université Laval, 2013), 386-424.
  • 42. ADCO, SM 9799, lettre du préfet de la Côte-d’Or au ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement en date du 20 février 1917.
  • 43. Rouxel, « Bref historique... » (cf. note 12).
  • 44. Annuaire général de l’automobile et des industries qui s’y rattachent (Paris : F. Thévin & Ch. Houry, 1901), 253-254.
  • 45. Pierre Lidoine, Cottereau et d’autres rendez-vous de Dijon avec l’automobile (Besançon : Besançon Autos Miniatures, 2007), 7.
  • 46. AMD, 5 I 3 n° 612, 1899, dossier relatif au dépôt de M. Vreuille, procès-verbal de l’enquête de commodo et incommodo.
  • 47. Ibid., pétition adressée au maire de Dijon.
  • 48. Ibid., (cf. note 46).
  • 49. Ibid., lettre de M. Vreuille au maire de Dijon.
  • 50. Corbin, Le miasme et la jonquille (cf. note 13) ; Massard-Guilbaud, Histoire de la pollution industrielle en France, 70-72 (cf. note 13).
  • 51. AMD, 5 I 3 n° 612 (cf. note 46).
  • 52. Massard-Guilbaud, Histoire de la pollution industrielle en France, 217-218 et 222-223 (cf. note 13).
  • 53. Par exemple, à Anvers en 1889 un incendie provoqué par le pétrole fait 125 morts et est relayé par Le Progrès de la Côte-d’Or. Sur le rôle joué par la presse, voir Stéphane Frioux, Les batailles de l’hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses (Paris : PUF, 2013), 167-169.
  • 54. À l’inverse d’autres demandes d’établissements dangereux, incommodes ou insalubres, les riverains des dépôts de pétrole côte-d’oriens ne semblent pas user d’autre répertoire d’action que l’écrit : Jarrige et Le Roux, La contamination du monde, 159-166 (cf. note 23).
  • 55. Aucune demande n’est formulée entre 1914 et 1918.
  • 56. Sur le rôle des maires dans les « batailles de l’hygiène » : Frioux, Les batailles de l’hygiène, 84-117 (cf. note 53). Dans un cadre plus général, voir aussi Baret-Bourgoin, « Modifications du paysage... » (cf. note 35).
  • 57. Ceci est peut-être à relier avec le poids grandissant de la question de l’hygiène à Dijon, avec la création d’un bureau d’hygiène en 1901 : George Zipfel, « L’hygiène à Dijon », in Dijon et la Côte-d’Or en 1911 (cf. note 6). Il s’agit toutefois de relativiser l’efficacité d’un tel organe : Lucie Paquy, « La gestion des nuisances et des pollutions grenobloises à la fin du XIXe siècle : institutions et acteurs (1870-1914) », in Bernhardt et Massard-Guilbaud (dir.), Le Démon moderne, 99 (cf. note 35).
  • 58. Archives Municipales de Beaune, 2 EP 57, 1906, rapport de la Chambre du commerce de Beaune sur le dépôt de pétrole dans les gares de chemin de fer et vente sur voie publique.
  • 59. Id. La vente ambulante est par exemple déjà prohibée à Bourges ou Caen.
  • 60. Pour plus de détails, voir Marcel Amphoux, « Une nouvelle industrie française : le raffinage du pétrole », Annales de Géographie, t. 44, n° 251, 1935, 510.
  • 61. AMD, 5 I 3 n° 618, 1906, dossier relatif au dépôt de la société La Lumière.
  • 62. Le Progrès de la Côte-d’Or, 26 mars 1908. Nous n’avons pas retrouvé le détail de cette pétition.
  • 63. Henry Bérenger, Le pétrole et la France (Paris : Plon, 1920), 291, cité par Roberto Nayberg, « La politique française du pétrole à l’issue de la Première Guerre Mondiale : perspectives et solutions », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 224, 2006.
  • 64. ADCO, SM 16898, 1920, lettre du ministre des Travaux Publics à l’inspecteur en chef du département.
  • 65. Fernand Beaucour, Les Appareils distributeurs de carburants, les stations-services et les voies publiques (Paris : Chez l’auteur, 1956), 32-33.
  • 66. Des adjudications ont lieu au camp Williams d’Is-sur-Tille, au nord de Dijon, construit en 1917. Voir A. Content, « La gare régulatrice d’Is-sur-Tille », Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, t. 100, 1927-1931, 43-51.
  • 67. Sur la diffusion des innovations et technologies sanitaires dans les petites villes de province, autre que dans le contexte pétrolier, voir Frioux, Les batailles de l’hygiène, 208-239 (cf. note 53).
  • 68. Dominique Pascal, Stations-service (Boulogne-Billancourt : ETAI, 1999), 20.
  • 69. Cette idée est reprise à Jakle et Sculle qui développent le concept de « place-product-packaging », dans le contexte nord-américain : John A Jakle et Keith A. Sculle, The Gas Station in America (Baltimore : Johns Hopkins University Press, 1994), 18-48.
  • 70. Pour plus de détails, voir Miraucourt, « Histoire de la pompe à essence » (cf. note 12).
  • 71. Bien que les enquêtes n’étaient pas obligatoires pour ces dépôts, les autorités insistaient sur leur recours avant 1914, notamment pour compenser les carences administratives en matière de contrôle.
  • 72. Alors que les premières associations d’automobilistes et syndicats touristiques émergent au début du XXe siècle en Côte-d’Or, le tourisme automobile prend une autre dimension durant l’entre-deux-guerres. Voir Jean-Christophe Gay et Véronique Mondou, Tourisme & transport, deux siècles d’interactions (Paris : Bréal, 2017), et pour l’échelle locale : Martine Chaunay-Bouillot et Michel Pauty (dir.), Dijon et la Côte-d’Or, Un regard de l’Académie des sciences arts et belles-lettres sur le 20e siècle (Dijon : Le Bien Public les dépêches et Académie des sciences arts et belles-lettres de Dijon, 2003), 72.
  • 73. 107 000 automobiles circulent en France en 1913 contre 1,7 millions en 1931 : Dominique Barjot (dir.), Industrialisation et sociétés en Europe occidentale du début des années 1880 à la fin des années 1960, France, Allemagne-RFA, Italie, Royaume-Uni et Benelux (Paris : CDU SEDES, 1997), 239.
  • 74. André Nouschi, La France et le pétrole de 1924 à nos jours (Paris : Picard, 2001), 40.
  • 75. Cette tendance se confirme dans le Morbihan et les Côtes-du-Nord, des dépôts d’essence pénétrant dans les chemins ruraux et vicinaux dans les années 1930 : Patrick Harismendy, « Du caillou au bitume, le passage à la ‘route moderne’ (1900-1936) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, vol. 106, n° 3, 1999, 105-128.
  • 76. ADCO SM 16896, 16897 16901, 16903 et 16906 ; AMD, 5 I 3 n° 658 et 661.
  • 77. ICOVIL, Dijon et son agglomération. Mutations urbaines de 1800 à nos jours, Tome 1 (1800-1967) (Dijon : Editions Icovil, 2012), 271.
  • 78. De nombreux travaux ont analysé ces stations-services américaines qui émergent dès le début du XXe siècle : Jakle et Sculle. The Gas Station in America (cf. note 89) ; Richard W. Longstreth, The Drive-In, the Supermarket, and the Transformation of Commercial Space in Los Angeles, 1914-1941 (Cambridge : MIT Press, 2000).
  • 79. La Revue pétrolifère, n° 117, 1925, 178.
  • 80. ADCO SM 16914, 1935, dossier relatif au dépôt de M. Boyer à Chenôve.
  • 81. Le Progrès de la Côte-d’Or, 26 mars 1932.
  • 82. Rouxel, « Bref historique... » (cf. note 12).
  • 83. ADCO SM 16910, 1931, dossier relatif au dépôt de M. Chauffard.
  • 84. AMD 5 I 3 n° 648, 1924, dossier relatif au dépôt de M. Rouvenaz.
  • 85. AMD 5 I 3 n° 646, 1924, dossier relatif au dépôt de M. Weigemborg.
  • 86. Rouxel, « Bref historique... », 8 (cf. note 12).
  • 87. Cette nouvelle organisation dans la distribution du pétrole en France a été développée par le prisme de Desmarais frères, actionnaire de la CFP et acteur majeur de la vente au détail en France : Mohamed Sassi, La politique pétrolière de la France de 1861 à 1974 : à travers le rôle de la compagnie privée Desmarais Frères (Paris : Éditions SPM, 2018).
  • 88. C’est ce qui est appelé la « guerre des prix » : Nouschi, La France et le pétrole de 1924 à nos jours, 40-43 (cf. note 74).
  • 89. ADCO SM 8550, note de la Chambre Nationale du Commerce de l’Automobile adressée au préfet de la Côte-d’Or au sujet de l’application du décret-loi du 8 août 1935.
  • 90. Le Progrès de la Côte-d’Or, 13 janvier 1932.
  • 91. Id.
  • 92. Le Progrès de la Côte-d’Or, 14 avril 1931.
  • 93. ADCO SM 8550 (cf. note 89). Sur les actions étatiques pétrolières durant cette période, voir Nouschi, La France et le pétrole de 1924 à nos jours, 37-57 (cf. note 74).
  • 94. Les prix ne sont limités que vers le haut, c’est-à-dire que le litre d’essence ne peut dépasser un certain prix, ce qui est avantageux pour un département comme la Côte-d’Or. En revanche, aucune limite n’est prévue vers le bas, alors que les trusts tendaient à baisser les prix pour conquérir le marché. L’efficacité du décret-loi semble donc limitée.
  • 95. Pour plus de détails, voir notre mémoire de master 1, sur lequel se base cet article : Timothée Dhotel, « Naissance d’un torrent noir. Enquête sur les premiers dépôts de pétrole en Côte-d’Or (1877-1939) » (Master thesis, Université de Bourgogne, 2021).
  • 96. Hein, Oil Spaces (cf. note 15).
  • 97. Les archives de Desmarais frères sont par exemple conservées par le groupe Total : Anne-Thérèse Michel, « Aux sources de l’histoire pétrolière : les fonds d’archives historiques du groupe Total », Bulletins de l’Institut du Temps Présent, 2004, n° 84, 99-105.
  • 98. Par exemple, une lecture de ces affiches par le prisme du genre semble pertinente : Vanina Pinter, L’affiche a-t-elle un genre ? (Wasselone : Éditions deux-cent-cinq, 2022), 16-17.
  • 99. La Revue pétrolifère, n° 289, 1928, 1402.
  • 100. Rouxel, « Bref historique... » (cf. note 12).
  • 101. Camille Molles, La Fin du pétrole. Histoire de la pénurie sous l’Occupation (Paris : Descartes et Cie, 2010).
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